Au XIV eme siècle jusqu’à mi XV eme, le parchemin, luxueux, cher était aussi répandu que le papier, il était utilisé au sein des ateliers d’artistes. La profession comportait un grand nombre de métiers, peintres, sculpteurs, architectes, orfèvres, miniaturistes, ils pouvaient travailler tous dans le même atelier. Lorsque le papier est devenu moins onéreux, le dessin est apparu, au-delà des cercles artistiques.
Une phase de conception des projets, dans la pratique de la mise en œuvre, le dessin a tenu une place primordiale. Nous avons des témoignages.
Pour mettre en place une composition : il faut préparer la posture ou le drapé d’une figure, réactualiser la connaissance de la sculpture antique, donner les modèles que ce soit broderies ou vitraux. Les artistes utilisent tour à tour, la plume, la pierre noire et rouge, l’aquarelle et le rehaut de blanc posés délicatement au pinceau, sur le vélin ou le papier souvent coloré ou préparé.( Cennini dans son traité du XIV eme siècle, nous indique que le papier était préparé pour son utilisation à la pointe de métal avec des fonds spéciaux minéraux ou organiques et polis à l’agate. Le fond pouvait être coloré en diluant la teinte avec une colle animale ou de la gomme arabique, ce qui rendait le papier plus résistant. On pouvait le teindre en brun, indigo, rougeâtre, bleu clair, gris, selon les artistes et les écoles)
Nous avons quelques exemples avec les livres de modèles, il peut s’agir de recueils de copies et de figures comme l’album Bonfiglioli-Sagredo-Rothschild dans sa forme originale de copies d’après des fresques d’Altichiero, ou bien des modèles d’animaux , comme celui de Rothschild.
D’autres livres sont liés aux grands artistes et leurs proches collaborateurs, dessins d’atelier, tel le livre de Benozzo Gozzoli.
Dès 1460, ces livres d’ateliers sont plus répandus : Marco Zoppo, Jacopo Bellini, mettent tous leurs soins à la mise en œuvre de ces volumes.
Nous savons que la préparation des fresques et tableaux d’autel sur bois incluait dans sa première phase l’exécution d’une esquisse, la sinopia des fresques, le dessin sous-jacent des tableaux, révélé par les méthodes scientifiques modernes. Grâce au développement de la fabrication du papier, la production de la gravure fut favorisée.
C’est le Florentin Maso Finiguerra qui est à l’origine de la gravure sur cuivre aux environs de 1460. Il fut suivi par l’orfèvre (également de Florence) Baccio Baldini, qui (faible en dessin), ne produisit que des reproductions de compositions inventées et dessinées par Botticelli, Mantegna, avisé de ce procédé à Rome, commença à graver un grand nombre de ses œuvres. Invention qui ensuite passe en Flandre.
L’esprit du Gothique international est présent dans les ateliers des graveurs florentins, les images représentent des scènes religieuses et des cartes à jouer. Le Quattrocento est tributaire d’une fusion des genres artistiques où l’estampe rivalise avec les autres arts : la peinture, sculpture, architecture et dessin.
La production gravée est signée d’un grand maitre du Quattrocento Antonio Pollaiuolo, dans son combat d’hommes nus (présenté à l’exposition), ainsi que « l’ascension de la Vierge » ou" le jugement dernier ".
Le Nielle :
Technique particulière de l’orfèvrerie émaillée.
C’est au XV eme siècle à Florence dans l’atelier de Maso Finiguerra que le nielle, tué sur papier, offrit une modalité technique nouvelle à l’art de l’estampe. C’est avant tout un émail noir qui sert non seulement au niellage des métaux précieux prêt à l’impression sur papier. Au Quattrocento les orfèvres italiens ont formé, du latin nigellum, par voie de contraction, le mot nello, francisé au début du XIX eme siècle et a été étendu de (émail noir) à l’objet émaillé lieu même et a ses dérives, dont l’impression de nielle sur papier.
La technique :
4 étapes viennent de l’incision du métal précieux à l’impression sur papier.
L’orfèvre gravait une plaque de métal précieux, souvent en argent. La plaque gravée était appliquée sur une argile très fine, qui recevait à la façon de l’empreinte déposée par un sceau sur de la cire, le dessin (en négatif et en relief), de l’incision réalisée (en creux) sur le métal.
3eme étape : en vue d’une impression sur papier, consistait à réaliser une nouvelle matrice au moyen de soufre liquéfié, coulé sur la matrice d’argile. Une fois solidifié, le soufre était démoulé de l’empreinte d’argile et restituait (en positif et de nouveau en creux), le dessin incisé sur l’argent. Ainsi l’orfèvre disposait d’un double, en soufre, sur la plaque originale. On désigne par nielle en soufre ce type d’épreuve qui a reçu le niellage. Le nielle soit émail noir était enfin appliqué sur la matrice en soufre. Avant que le nielle ne sèche, l’orfèvre y posait un papier humide qu’il pressait au moyen d’un petit cylindre lisse. Sous la pression exercée par le rouleau, l’émail noir se transposait sur le papier créant une sorte d’estampe, appelée traditionnellement épreuve de nielle sur papier.
L’exposition présente des œuvres de différents artistes :
Maso Finiguerra, 1426-1464, orfèvre et graveur, il s'est distingué par son usage du niellage sur des calices, patènes, reliquaires, poignées d'épées, bijoux en argent. Son maitre Lorenzo Ghiberti avec qui il travailla aux portes du baptistère à Florence.
A l’exposition :" Le couronnement de la Vierge ", nielle sur papier
5 scènes de la passion dont :
"Jésus au mont des Oliviers ",
"La flagellation ",
" Le portement de croix ",
"La Pentecôte ",
" Le jugement dernier ".
Epreuves uniques, provenant de Florence, cloître des Camaldules. Ces 5 compositions font parties d’une série de 14 soufres représentant la passion du Christ.
D’autres pièces sont attribuées à l’artiste : " Trois hommes soulèvent un âne ", " Hector armé par quatre jeunes filles ", " Le maître d’école ", " Le triomphe de la foi ", " Le sacrifice d’Abraham ", " La circoncision ", nielles sur papier. Ce sont des épreuves uniques,
Peregrino da Cesena, actif à Bologne de 1490 à 1510, graveur.
Les pièces présentées : " Le triomphe de Neptune ",nielle, " La résurrection ", " Arabesque avec un rapace et un griffon ", " Mucius Scaevala ", " Orphée ", " Saint Jérôme ". D’autres épreuves sont connues " La nativité " est une épreuve unique.
Antonio Pollaiuolo 1432-1498 Rome, il apprend la peinture avec Paolo Ucello, la sculpture avec Donatello, il devient orfèvre avec Lorenzo Ghiberti, il est aussi graveur.
"La justice "lui est attribuée, ainsi que "l’ange en adoration ", " Adam et Eve travaillant ", " Fontaine avec enfants ", "eune homme endormi ", "Diane et Endymion ", " un triton portant une Nymphe ", "Jeune homme nu assis sur un dragon "," la Vierge avec l’enfant Jésus" ce sont des épreuves uniques.
"Le combat d’hommes nus "
L’importance de la démarche que l’ artiste accorde au combat d’hommes nus, la composition est gravée et signée, une dignité comparable à celle des nobles arts de la sculpture, ou peinture, anticipe la revendication créatrice de Francesco Rosselli, celui fin du Quattrocento s’impose comme seconde figure majeure de l’estampe florentine après Baldini.
L’estampe acquiert définitivement un statut d’art majeur, comparable au dessin.
Le Maitre de l’album Soane de Londres :
Un artiste intervenant sur les feuilles plus anciennes à la fin du Quattrocento, est également l’auteur d’un recueil appartenant au Sir John Soane’s Muséum (situé et étudié dans une ambiance milanaise vers 1500) . Cette partie est constituée de dessins d’architectures marquées par le goût à l’antique, qui a attiré l’attention des spécialistes du théâtre et des fêtes à la Renaissance. Ce dessinateur présente, l’actualité architecturale de l’époque (XV eme siècle) il cite Bramante, Filarète, les édifices de Mantoue, Venise, la cappella Colléoni de Bergame, le Santo de Padoue. Des motifs représentant des animaux et fruits apparaissent sur les feuilles les plus récentes
Altichiero : Peintre italien (Vérone, seconde moitié du XIV e s ). On lui attribue aussi la décoration de la loggia de l'actuel Palais de la province (autrefois Palazzo Scaligero), figurant des têtes monochromes d'empereurs et d'impératrices romains. Il fut l’un des derniers représentant du Trecento, dont il concrétisa les grandes inspirations avant que n'éclose à Vérone le Gothique international.
Exposition de l’album Bonfiglioli-Sagredo-Rothschild, cet album comporte 20 folios.
Quelques exemples :
Folio 1 : recto copiste d’Altichiero " Vue d’un palais ", encre brune et encres couleurs sur vélin, Verso : Maitre de l’album de Soane, « temple circulaire » encre brune et encres couleurs et blanc sur vélin
Folio 2 : recto copiste d’Altichiero "Architecture gothique, une pêche et un canard ", encre brune, encres de couleurs et tempera sur vélin. verso : maitre des études de figures et maitre de l’album Soane « Rinceaux fleuris et étude de figure en grande partie effacées et tabernacle à l’antique » pointe de métal, encre brune, , encre de couleurs et blanc sur vélin préparé en bleu-vert.
Folio 3 : recto copiste d’Altichiero, "édifice orné de galeries, avec un jardin à l’arrière-plan et un écureuil ", verso : maitre de l’album Soane, »Saint Georges combattant le dragon », plume et encre brune et lavis brun, encres de couleurs et tempera sur vélin.
Folio 4 : recto copiste d’Altichiero, "Vue perspective d’une église ", verso : maitre de l’album Soane, « Autel avec décor sculpté », plume et encre brune et encres de couleurs sur vélin.
Une série de 10 folios présente « le livre de modèle Rothschild » sur ces feuillets présentations d’animaux : un exemple, recto" Trois chèvres dans un paysage", Verso " Lion attaquant un sanglier et deux chiens ".
De Sandro Botticelli, Florence 1445-1510, y travaille avec les peintres Antonio del Pollaiuolo et Verrocchio, quand son maître part pour Spolète. Cet apprentissage de l’orfèvrerie, de la gravure et de la ciselure influence la ligne de son dessin. Botticelli travaille beaucoup avec les artisans et notamment avec son frère Antonio, orfèvre avec qui il partage son atelier.
" Etude de jeune homme de profil " de Botticelli. Pointe de métal et rehauts de blanc au pinceau sur papier lavé beige rosé.
"Saint-Sébastien ", Pointe de métal et rehauts de blanc au pinceau sur papier lavé beige rosé.
Il s’agit d’études préparatoires.
Baccio Baldini, Florence 1436-1487, orfèvre et artiste nielleur
"Le prophète Noé " burin en manière fine
" La chasse à l’ours " burin en manière fine.
"Médaillon avec quatre scènes d’amour et quatre animaux "entourés d’une bordure de fruits, burin à la manière fine.
De l’atelier de Baldini, Virgile fait apercevoir Dante à Béatrice. Burin à la manière fine.illustration pour la 8 eme édition de la Divine Comédie Dante.
La scène dite des " planètes " représente 7 planètes (dont le soleil considéré selon la physique ptolémaïque comme un satellite de la terre), du système solaire en fonction de leur influence astrologiques sur l’activité humaine. De Baccio Baldini vers 1436 à Florence
Elles révèlent : la main d’un orfèvre florentin qui essai d’adapter sa manière à l’expression graphique (couleur, perspective, mouvements) enrichissent par un jeu de contre-tailles, les contrastes des gris.
Cette série constitue (les planètes, l’un des premiers témoins de la naissance de l’art de la gravure dans la Florence du Quattrocento, nous nous situons aux confins de l’art des orfèvres et de leur 1ere expression gravée). Baldini orfèvre lui-même, fut l’élève et le principal continuateur de l(art de Maso Finiguerra.
Une série de prophètes et celles des" Sybille"s, ce groupe d’estampes attribuées à Baldini d’après des dessins de Botticelli.
Agnolo Gaddi, Florence 1350-1396, peintre de l’école florentine de la pré-Renaissance, il fit de nombreux dessins et une trentaine de fresques.
" Scène de la vie d’un saint" plume et encre brune sur papier lavé rose.
"Figure trônant et deux personnages assis",plume et encre brune sur papier lavé rose.
Egalement D’Agnolo Gaddi, étude pour figure allégorique sculptée destinée à la loggia des Lanzi à Florence. Œuvre commandée entre 1383-84. A la plume, encre brune, sanguine, papier frotté à la sanguine, et une étude pour le décor de la chapelle Castellani à Santa Croce Florence de Benozzo Gozzoli.
Florence au XV eme siècle :
Quelques œuvres anonymes
"Jeune homme debout " XV eme , il s’agit d’une épreuve unique, nielle sur papier.
" Deux guerriers casqués ", autres épreuves connues.
"La Vierge et l’Enfant sur un trône entourés de saintes et d’anges". autres épreuves connues.
Italie du nord, peut-être Venise ?
" Dame en costume vénitien " , nielle sur papier. Autres épreuves connues
Une œuvre de Francesco Pesellino, Florence 1422-1457, peintre miniaturiste de l’école florentine. Il travailla pour les Médicis.
" Etude du Saint évêque " Tempera en blanc et brun sur papier beige.
Benozzo Gozzoli, Florence 1420-1497, il est l’un des peintres majeurs de l’école florentine. Il se forme auprès de Fra Angelico au couvent San Marco, où beaucoup d'œuvres sont exécutées depuis les dessins du maître, puis entre 1444 et 1447 comme orfèvre dans l'atelier de Ghiberti il travaille avec lui et son frère à la porte du Paradis du baptistère Saint-Jean
En mai 1447, il accompagne Fra Angelico à Rome appelé auprès du pape Eugène IV pour des décorations au Vatican puis à la Cappella Niccolina de Nicolas V . Sa grande renommée de décorateur commence avec les fresques (disparues) peintes durant ce séjour, à l’église Sainte-Marie d’Aracoeli " Saint Antoine et deux anges " et à Sainte Marie-Majeure. Il participe également aux travaux de fresques sur la voûte de la cathédrale d’Orvieto
" Figure de moine dans une mandorle ", pointe de métal blanc au pinceau sur papier préparé en ocre brun
"Portrait d’homme coiffé d’un turban " pinceau et encre brune, pointe de métal, rehauts de blanc sur papier préparé vert.
Quelques extraits du livre de l’exposition
Collection du baron de Rothschild
Cette exposition est exceptionnelle, elle met en relation les différentes techniques : les nielles qui précèdent les estampes, les dessins apportent précision, et raffinement. C’est aussi la découverte de l’activité des artistes florentins à l’époque du quattrocento.
Au Louvre jusqu’au 10 octobre 2011