L’orientalisme, courant artistique et littéraire du XIX eme siècle (un orientalisme humanisme et classique existe depuis le Moyen-âge et début Renaissance avec le début des explorations de Marco Polo, puis atteint son apogée avec les turqueries et le goût oriental du XVIII eme siècle baroque et rococo, ce goût oriental hérite aussi du contact des croisades avec les islamiques).
Au XIX eme siècle, ce mouvement marque un intérêt pour les cultures de l’Afrique du nord, turques et arabes et toutes les régions dominées par l’empire Ottoman jusqu’au Caucase.
Ce sont les campagnes napoléoniennes d'Egypte (1798-1801) qui ont ouvert la voie à l’engouement occidental pour l’Orient. La guerre de libération de la Grèce en 1821. La conquête de l’Algérie en 1830 avec la prise d’Alger par l’armée de Charles X, alors que s’amorce le déclin de l’empire Ottoman.
La confrontation avec la civilisation orientale, rendue plus directe par l’établissement des liens diplomatiques, économiques, par l’amélioration des conditions de voyage, amènent les artistes a se déplacer, ce qui donne un élan prodigieux à l’orientalisme, ils ont voulu témoigner et contribuer à fixer la mémoire de ces pays.
L’art orientaliste ne correspond en France à aucun mouvement artistique, cependant de nombreux artistes différents ont repris ce thème, en effectuant leurs voyages. Il s’agit d’un attrait pour l’ailleurs, la recherche de l’exotisme, ce qui a influencé la société. Les salons de la bourgeoisie et de la noblesse donnèrent des réceptions et des bals costumés sur les modèles des cours d’Orient.
En peinture l’orientalisme moderne (1905 à 1910) avec la création de la villa Abd-El-Tif, petit palais algérois qui a hébergé des artistes peintre de 1907 à 1962, il est situé dans la campagne algéroise) , c’est le prolongement de l’orientalisme classique.
De la couleur à la lumière :
Problèmes posés aux artistes face à une luminosité extrême, celle de l’Orient. Peindre sous la lumière de l’Orient, c’est tenter de la dompter pour que la couleur puisse enfin se poser sur la toile. Un certain nombre d’artistes ayant des difficultés à peindre sous cette lumière, et, pour beaucoup seul le dessin ou l’aquarelle furent possible.
Les œuvres des artistes donnent à voir le coté technique de l’étude d’une lumière puissante qui écrase les couleurs et métamorphose les sujets, les paysages.
L’exposition :
Vassily Kandinsky (1866-1944) est l’un des premiers à mettre l’accent sur l’Orient, il voyage en Tunisie en 1905, il porte un intérêt à la culture et aux arts arabo-islamique. Il dessine et peint des sujets populaires. Sa vision de la couleur est associée à la lumière spirituelle et non pas à la lumière solaire. L’Orient de Kandinsky souscrit à la théorie selon laquelle la couleur a d’abord un effet purement physique et provoque dans un second temps une "vibration de l’âme".
"Suite orientale, Arabes III" 1911 représentation de cavaliers, une femme allongée et une cruche. Ces trois motifs semblent être les motifs principaux de la toile, ou les cavaliers font référence à Saint-Georges, la femme peut-être vue comme la force régénératrice et la cruche, la force secrète de la vie spirituelle, ouverte vers le haut.
Martiros Sarian (1920-1972) , artiste arménien, dès 1910 il voyage dans l’empire ottoman en Egypte et en Iran. L’artiste s’est affirmé dans la lumière orientale de l’Arménie. L’objectif de sa création, c’est d’exprimer l’essence de l’Orient énigmatique.
"Paysage d’Arménie" 1921, dans cette œuvre il représente la nature, les animaux, la végétation de son pays. il représente presque rien, le ciel est d’un bleu profond, de larges courbes dessinent la montagne aux tonalités jaune, orangé, un arbre et un animal. L’ensemble de la toile est irradiée par le soleil. A partir de trois couleurs (bleu, jaune, vert) il compose et construit son tableau inondé de lumière.
Charles Camoin (1879-1965) rejoint Matisse à Tanger où il passe l'hiver 1912-1913 auprès de son ami. Camoin retrouve de l'ardeur au travail et rapporte de nombreux dessins. Pourtant très admiratif de Delacroix, dont il recopie des passages entiers du journal, Camoin ne cède pas à la tentation orientaliste. C'est plus l'atmosphère du lieu qui l'intéresse. Il rapporte du Maroc un ensemble de paysages dans lesquels il renonce au noir pour évoluer vers une gamme de teintes beaucoup plus tendres, utilisées en transparence. Il renoue avec la technique du dessin instantané apprise dans l'atelier de Gustave Moreau.
"Plage de Tanger" 1912, une légèreté dans les couleurs, le sable de la plage est rose, ce qui donne une grande douceur à l’œuvre.
" Le palais du sultan " 1912-13, composition d’ensemble, les masses architecturales et les jeux d’ombres.
" Marocains dans une rue à Tanger" 1913, les personnages sont animés,
"Jeune marocain assis " 1913
Albert Marquet (1875-1947) découvre le Maroc avec Matisse lors d’un passage à Tanger en 1909, il y fera plusieurs séjours, il voyage aussi à Dakar avec Matisse, dans le sud marocain, et, à partir de 1919 en Tunisie et Algérie. L'artiste renouvelle ses thèmes, il tend vers une plus grande simplification pour exprimer l'essentiel des lignes et des formes qui ne détruisent jamais les subtiles modifications de tons.
"Citadelle à Tanger " 1913, cette œuvre exprime les différents degrés de la lumière à partir d’une seule couleur, ici c’est le bleu qui permet à l’artiste d’obtenir une plus grande variété de tons, de nuances. L’artiste soumet tous les éléments de son tableau (formes, lignes, couleurs) à l’expression de l’atmosphère colorée qui règne sur la casbah La voûte, les murs qui la reçoivent et le sol privé de soleil, servent de cadre au site représenté et au tableau lui-même. Le bleu profond qui recouvre la zone architecturale évoque l’épaisseur de l’ombre et contraste avec la clarté de la rue, trouée lumineuse où chaque pan de maison devient une surface inondée de soleil.
Henri Person (1876-1926), en 1890 il rencontre Paul Signac, et subit son influence au début du XX eme siècle. Les deux artistes effectuent un voyage à Constantinople. Person utilise l’aquarelle pour traduire l’instantané, le fugitif, le provisoire.
" Istanbul "1907, œuvre baignée dans la lumière, la ville disparaît sous un halo de couleur jaune, seules les tartanes au premier plan à droite de couleurs froides : violet, bleu, brun renvoient vers le réel.
"Voiliers à Istanbul " 1907, l’artiste silhouette un crayon gras, bateaux et minarets de la mosquée en quelques touches d’aquarelle, la rapidité de l’exécution empêche l’encombrement de détails qui figeraient la sensation, la spontanéité.
Paul Signac (1863-1935) Dès 1904 il voyage, va en Italie, Hollande, Constantinople en compagnie de Person et peignent ensemble, Signac réalise des aquarelles.
" Vue de Constantinople "1907
" Constantinople, la corne d’or le matin" 1907, la luminosité est plus dorée que nature, elle semble être la lumière enveloppée du nord sur une couleur d’Orient.
Léon Bonnat (1833-1922), passe une partie de son adolescence à Madrid, puis voyage en 1860 en Italie, en Grèce et au Moyen-Orient dans les années 1868, en 1869 il assiste à l’inauguration du canal de Suez.
« Arabe enlevant une épine de son pied » 1868-69
Edmond Hédoin (1820-1889), il effectue un voyage en Algérie dans la région de Constantine en 1847, pour y collecter un certain nombre de vues et costumes. Il rapporte des croquis, des études qui lui serviront toute sa vie.
"Un café à Constantine " 1848, au premier plan des hommes baignent dans un climat de torpeur, ils sont installés sur un bat-flanc recouvert de paille, tout est dans l’ombre sauf quelques éclats de lumière venant du ciel azur dans l’encadrement de la porte sur un groupe d’hommes installés dans le fond à gauche.
Gabriel Decamps (1803-1860) fait ses débuts comme peintre de genre, marquant une attirance pour la nature et les sujets orientaux. Soucieux de perfectionner son art, il voyage en Suisse et dans le midi de la France en 1824. Il expose pour la première fois au Salon de 1827.
En 1828, il est envoyé en mission en Grèce en compagnie du peintre Louis Garneray, chargé de commémorer par un tableau, la victoire de Navarin, et poursuit un périple qui le conduit à Constantinople, puis à Smyrne, et au Moyen-Orient. Expérience décisive. Au cours de son séjour, il prend des notes, réalise des croquis et thésaurise des images avec lesquelles il façonnera sa vision de l’Orient. Gabriel Decamps est un peintre du clair-obscur majeur, il limite sa palette à des tons bruns et se concentre sur les effets d’ambiance créés par les jeux d’ombres et de lumière.
" Le marchand d’oranges" 1842-45, combinaison du clair et du sombre.
"Marchand turc fumant dans sa boutique "1844, l’artiste dans cette toile combine les clairs et les sombres.
" Scènes de harem , Pacha et musicienne" aquarelle, les tons sont bruns l’artiste privilégie l’ambiance créés par les jeux d’ombres et de lumière.
Alfred Dehodencq (1822-1882), l’artiste visite le Maroc, il va à Tanger, Salé, Tétouan, Larache, Mogador, Rabat. Il séjourne plusieurs années chez le consul de France.
"Cour de maison marocaine " 1860, il utilise le contraste lumineux entre des murs blancs chauffés de soleil et ceux plus bruns dans l’ombre où se tient une figure féminine à peine esquissée.
Théodore Chassériau (1819-1856) admirateur d’Eugène Delacroix, il se sent attiré par l’Orient. Sur l’invitation du calife de Constantine, Ali Ben Ahmed, il se rend en Algérie en 1846. Il s’intègre à la vie locale : scènes de combats de cavaliers arabes, scènes de vie des femmes à Alger montrent combien l’artiste maitrise le mouvement, et, est un grand coloriste. Il réalise des carnets de dessins avec peu de paysages.
" Jeune femme maure allaitant son enfant et une vieille " 1850
" Intérieur juif à Constantine" 1851
" Femme noire d’Alger "
Eugène Fromentin (1820-1876), en 1846, à l’insu de sa famille, il visite l’Algérie avec deux amis et peut ainsi remplir ses carnets de croquis de paysages et d’habitants d’Afrique du nord, s’inscrivant en cela dans le mouvement de l’orientalisme. Il effectue plusieurs voyages, pendant le premier il exécute des dessins d’une grande précision et d’une transcription directe, les premiers paysages recherchent l’exactitude.
Le second voyage, l’artiste reste huit mois, il découvre le Sahara, son idée étant de faire une série de dessins formant un itinéraire de Constantine à Biskra. A son retour il réalise des eaux fortes et en fait un album. L’artiste analyse dans sa complexité la lumière du ciel africain. Il précise que tout est gris, et dit : « le gris, voici l’avènement et le triomphe du gris. Tout est gris, depuis le gris froid des murailles jusqu’aux gris puissants et chauds des terrains et des végétations brulées ».
L’artiste utilise trois couleurs le blanc, le vert et le bleu.
" Arabes chassant le faucon "1887
" Fantasia " 1859, l’artiste dans cette œuvre a un sens subtil de la lumière.
" Chasse au faucon" crayon sur papier
" Tailleurs devant la mosquée " 1852
" Le chef arabe " 1863
Eugène Delacroix (1798-1863), En 1832, une mission diplomatique placée sous la direction du Comte de Mornay permet à Eugène Delacroix de découvrir le Maroc. En premier lieu il découvre Tanger, Meknès, et fait un séjour dans le sud de l’Espagne. Pendant son voyage il fait escale à Oran puis Alger avant de regagner la France. Pendant son périple l’artiste réalise plusieurs milliers de dessins et aquarelles ainsi que sept carnets. Sur place il dessine ce qu’il voit et note à la mine de plomb une indication de couleur. Il découvre la féerie des couleurs, de la lumière et appréhende une nouvelle utilisation de cette lumière. Cela aura une portée considérable sur son style iconographique. Cette lumière vive du Maroc renforça la conviction de l’artiste sur l’usage d’un système de couleurs complémentaires.
"Femmes d’Alger dans leur intérieur " 1847
" le kaïd, chef marocain " 1837, cette œuvre est inspirée d’une scène dont l’artiste a été témoin en 1832, lors de son trajet de retour vers Tanger. Il note dans son journal : le lait offert par les femmes. Un bâton avec un mouchoir blanc. D’abord, le lait aux porte-drapeaux qui ont trempé le bout du doigt. Ensuite au kaïd et aux soldats. Cette offrande traditionnelle symbolise le sentiment pacifique qui anime les hôtes et traduit leurs souhaits de bienvenue .
" Cavaliers arabes au galop" 1840-50, l’œuvre traduit la violence, l’énergie et le mouvement.
"Jeune turc caressant son cheval " 1826-27, le jeune homme est vêtu d’un costume traditionnel, il caresse son cheval avec tendresse.
" Vieux marchand d’oranges" au pastel 1832
" L’empereur du Maroc" dessin
" Paysage aux environs de Meknès " aquarelle sur papier 1832
" Marocain assis " 1832 aquarelle et crayon
Louis Moilliet (1880-1962) voyage en Tunisie, il débute ses aquarelles lors de ses voyages en Afrique du nord, il est fasciné par l’art islamique qu’il perçoit comme le berceau de l’art abstrait ainsi que ses deux compagnons de voyage Klee et Macke. L’intérêt de ces artistes porte sur la lumière et les couleurs qu’elle engendre. Pour Moilliet c’est la couleur qui produit la lumière, le mouvement et l’espace. L’aquarelle sera son mode d’expression qu’il utilisera pendant 30 ans.
"Mosquée et jardin à Salé, Maroc" 1921 aquarelle
Louis Valtat, (1869-1952) , orienté au départ par le pointillisme, à l’académie Julian il rencontre Vuillard et Bonnard et le groupe des Nabis. Malade il fait des séjours sanitaires à Collioure, Banyuls, il rencontre Maillol, il fait plusieurs séjours en Espagne , dans les années 1897-98 il se rend fréquemment dans le sud de la France , il y rencontre Renoir .Il voyage en Algérie en 1906, pendant son séjour il réalise des croquis
" Femme à la terrasse, Alger "1906
" Femmes et conversation sur les hauteurs d’Alger " 1906
"Étude pour le café Maure " 1906
Auguste Chabaud(1882-1955), de 1903 à 1906, l’artiste effectue son service militaire en Tunisie, d’où il revient avec des carnets de croquis remplis d’images locales, on retiendra les nombreux dessins de militaires, d’indigènes et de scènes de bar peuplés de filles et de marins, les marchés, le souk, charmeurs de serpents, femmes voilées. Auguste Chabaud n’est pas un artiste voyageur. Sa palette n’est nullement transformée sous la lumière tunisienne.
"Le marchand d’oranges " 1905-06
" Tunisie " 1913
" Femme arabe" dessin
Kees Van Dongen (1877-1968), l’artiste voyage beaucoup va en Italie, il effectue un voyage au Maroc en 1910 puis en Egypte en 1912.
" Fellahines , le long du Nil" 1913
Charles Dufresne (1876-1938), en 1910, un évènement majeur se produit dans sa vie : il présente un pastel au « Prix de l’Afrique du Nord » qu’il remporte. Il vit donc deux années à la villa Abd-El-Tif à Alger où il commence à abandonner le pastel pour l’huile. De retour à Paris en 1912, dans son atelier de l’ile Saint-Louis, il peint dans des couleurs luxuriantes des scènes orientales issues de son imagination et de ses souvenirs. Juste avant la guerre, il est influencé par certaines écoles nouvelles, ses formes se simplifient, ses couleurs deviennent plus sombres. Dessins au crayon et à l’encre de chine lui permettent d’éviter la couleur afin d’apprivoiser la lumière.
" Scène de marché "
" Scène d’Algérie " 1913
" Un marché" 1913 dessin
Henri Matisse (1869-1954), il entreprend de nombreux voyages qui seront autant de sources d’inspiration : Algérie, Italie, Allemagne, Maroc, Russie, Espagne, Etats-Unis et Tahiti.
1906, il effectue son premier séjour en Algérie.
1910, l’artiste prend de la distance avec le fauvisme. Il effectue deux séjours au Maroc, à Tanger en 1912, le second, d’octobre 1912 au début 1913, puis il part pour l’Espagne. Il réalise de nombreux croquis. Il est influencé par l’art islamique et trouve la lumière aveuglante.
Sa réflexion porte sur la manière de construire un art décoratif qui produise au sein même de la peinture de chevalet un bouleversement des données du regard qui se porte sur elle. Ce bouleversement, Matisse le vit lors de son second séjour. Dans ses tableaux marocains, il revisite son système plastique : suppression de l’anecdote et des détails matériels, il peint des couleurs qui lui sont propres et non plus observées, il applique de grands aplats et utilise dans ses figures ce qu’il appel le procédé décoratif.
" Coquelicots et iris I et II" 1912, deux grands panneaux de fleurs réalisés lors de son séjour Tanger, ces toiles sont inachevées, la tendance de l’artiste à cette époque : stylisation des motifs floraux et vivacité des couleurs.
" Marocaine assise" encre de chine
"Medina " vers 1911 encre de chine
" Etude de paysage marocain "
Théo Van Rysselberghe (1862-1926), il va en Espagne et au Maroc, il reste quelques mois à Tanger, pour y pratiquer le dessin et la peinture des scènes pittoresques de la rue, de la kasbah, des souks. L’artiste évolue sous la lumière de l’Orient. Lors de ses premiers voyages au Maroc, son style réaliste, aux tonalités brunes montrent son habileté à créer des œuvres emplies d’exotisme et de vie locale. L’œuvre orientaliste de l’artiste montre les transformations de son art et le cheminement de l’esthétique réaliste, et, à l’adoption de la technique divisionniste.
"Campement près d’une ville marocaine" 1887-88, œuvre peinte lors de son troisième séjour au Maroc. Les couleurs particulières de ce pays d’Afrique et la pureté de l’air, sembleraient l’avoir poussé a expérimenter la décomposition de la lumière. En rentrant du Maroc l’artiste ne plus qu’avec la technique néo-impressionniste.
Quelques extraits du catalogue de l’exposition.
Magnifique exposition qui offre aux visiteurs un moment d'évasion dans cet univers dense et coloré des voyages effectués par les artistes en Orient, Afrique du nord, Turquie. A ne pas manquer
Musée de l’Annonciade Saint-Tropez jusqu’au 13 octobre 2014